il leur avait semblé

Il leur avait semblé à tous les trois que c’était une bonne idée d’acheter ce cheval. 

Six drawings exhibited during the exhibition Confort Cellulose at Villa Bernasconi in Grand-Lancy/Geneva from 19.09 to 04.11 2018.

 

photos © Valentin Faure

Il leur avait semblé à tous les trois que c’était une bonne idée d’acheter ce cheval.

Ce titre est aussi la première phrase d’Un barrage contre le Pacifique, que Marguerite Duras publiait en 1950. Ce roman raconte l’histoire du combat vain d’une femme face à l’adversité, pour qui l’achat d’un cheval marque le début de la fin. J’ai envie de dire que les dessins de Noémie Doge font barrage à leur manière, contre un autre Léviathan, contre un autre Pacifique. Par la pratique lente du dessin, c’est le chaos liquide des images qui se trouve un temps dompté et confiné dans le cadre d’une feuille de papier. Le dessin serait un filtre, un bricolage de signes choisis qui viendrait fixer en des formes solides et intimes le flot continu des sensations. C’est peut-être avec un peu comme ça que Noémie Doge se raconte ses images.

Avant, c’était des bijoux qu’elle faisait, ensuite, par le dessin, c’est vers la peinture anglaise de paysage qu’elle s’est tournée. Elle remodelait Constable ou Gainsborough au crayon gris, les soumettant à l’ordre de la symétrie et on se noyait dans ces très grands formats évoquant des tests de Rorschach. Aujourd’hui, on s’accroche aux formes plus frontales de l’ordinaire, mais c’est le même jeu : de la confusion du quotidien naît un ordre lisible et temporaire contenu dans des marges laissées blanches.

D’abord, l’artiste collecte des images numériques qu’elle démonte, remonte, agrège de manière organique, rejouant intuitivement à l’écran le jeu des formes de l’inconscient. Un motif apparaît, plein d’images potentielles, évoquant quelque signe ésotérique fortuit ou révélant, comme elle préfère le dire, un alphabet du quotidien. D’un hamac disposé deux fois à la verticale émerge un X, la nappe de la table de la cuisine devient un kimono, un arbre un visage. Hommage à la maison, Noémie Doge emprunte un château de carte à une photographe chauxoise, transforme en motif la main de sa fille, le dinosaure de son t-shirt ou un fragment de faire-part de naissance. Pour lui donner un corps, il faut ensuite projeter le montage sur une feuille et le re-dessiner au crayon. C’est là que se joue le dernier acte, dans la durée du travail manuel qui détermine définitivement les nuances de ton, dans la minutie qu’exige cette technique qui permet de se réapproprier par le geste les images de l’écran et de se raconter encore une fois du bout des doigts leur histoire.

Jean-Marie Bolay

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Noémie Doge explore, dans ses grands dessins finement construits, la question de la perception de l’environnement et de la reconstruction mentale du paysage. Utilisant principalement le crayon gris, elle élabore des compositions complexes à partir de tableaux anciens, de photos privées, mais aussi d’instruments optiques qui cadrent, grossissent, déforment. A l’instar des tâches de Rorschach, elle plie et déplie des formes, des images laissant chacun y projeter son propre univers. Un travail d’orfèvre qui n’est pas sans rappeler sa première formation dans le champ des arts appliqués, en bijouterie.

Suzanne Kunz