prima belladonna

Exhibition at Locus Solus, Prilly, November 2020 – March 2021




Le 1er octobre 2019, je suis dans ton jardin. Les feuilles du figuier s’extirpent du grillage à poule. Sous l’abri de tôles, un lit à même le sol est une promesse de perméabilité entre le végétal et le rêve. Je regarde l’arbre-romarin qui se reflète dans la glace et pense à la vie des plantes d’Emanuele Coccia; aux feuilles qui privilégient la surface au volume afin d’adhérer le plus possible au monde. Est-ce pour cela que j’ai mis de côté le volume pour me consacrer au dessin?

Le 30 janvier 2020, je décide de diviser par huit le mur principal de mon atelier. J’arrête un ensemble de dessins à l’aide de six projecteurs posés par terre à différentes hauteurs et distances. On m’a dit: « plutôt que de chercher la complexité d’une composition, cherche dans la grille… »
Je pense alors au travail d’Agnes Martin qui compose trait après trait, ligne après ligne, un espace pour la perception.

Le 29 mai 2020, Jonathan lit la nouvelle Prima Belladonna de J.G. Ballard dans ton jardin. C’est l’Intercalaire. Le temps s’est figé et le gouvernement a arrêté toutes les pendules. L’histoire raconte des fleurs chantantes et une bizarre jeune femme ensorcelante attirée par un spécimen mâle d’orchidée géante. Nous sommes à Vermilion Sands. Il y a 48 ans, Ballard écrivait dans sa préface: « Vermilion Sands est une conjecture personnelle sur l’avenir tel qu’il sera réellement. »

Le 14 décembre 2021, une neige lourde efface le monde extérieur et laisse apparaître deux tiges sèches d’un framboisier. J’ai vu récemment à Londres une peinture de Hurvin Anderson qui représentait trois arbres au tronc unique et qui provenaient de lieux importants dans la vie de l’artiste. Le manguier-pommier-poirier transmettait l’idée que différents ensembles d’expériences, dans différents endroits, à différents moments peuvent coexister dans un même tableau. Un arbre au don d’ubiquité. Moi, ce que je préfère chez les plantes, c’est leur capacité de se réaliser dans la contrainte. Elles ne courent pas et ne peuvent pas voler. « Elles ne sont pas capables de privilégier un endroit spécifique par rapport au reste de l’espace. Elles doivent rester là où elles sont. » *


Noémie Doge, décembre 2021
https://locus-solus.ch/exposition/noemie-doge-2/

*  « La vie des plantes: Une métaphysique du mélange », Emanuele Coccia, p.17


photos ©Virginie Otth